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Si vous suivez depuis de longues années les grands prix moto, vous avez peut-être déjà vu ce visage. Sinon, si vous avez regardé le dernier GP de France, lorsque Zarco est arrivé dans le parc fermé afin de célébrer avec le team Tech3 sa superbe seconde place, vous l’avez sans doute aperçu avec sa veste bleue et rouge aux couleurs de Shark Racing.
Il s’agit de Jean-Jacques Lacroix, la personne qui est derrière les casques des pilotes Shark à chaque Grand Prix.
Invité par Shark, j’ai pu m’entretenir avec lui quelques instants afin de vous faire connaître les coulisses de l’équipementier lors de chaque Grand Prix.
SB : Jean-Jacques depuis quand es-tu sur le circuit Grand Prix pour Shark ?
JJL : Je travaille au racing Service depuis 1999, date à partir de laquelle l’entité Racing s'est structurée. Au départ, nous fonctionnions avec un camping-car et un haut vent, puis une remorque s'est rajoutée et depuis environ 12 - 13 ans nous avons la semi. Aujourd’hui, le département racing est composé de 3 personnes, Florian et moi-même, ainsi que le directeur de Shark.
SB : Comment se passe pour toi un GP ?
JJL : C'est toujours la même routine, départ de la société, à Marseille, le lundi ou le mardi. Il faut être prêt le mercredi matin 8h dans un parking dédié à l'avance. A partir de ce moment-là, une personne de l'IRTA qui gère les teams nous prend en charge et nous indique l'endroit où nous devons nous parquer. Une fois en place, il faut monter la structure, la laver et la connecter (NDLR : en eau, électricité et les écrans de TV pour suivre le déroulé du GP tout au long du week-end). Cette mise en place est souvent dédiée au mercredi toute la journée et aussi un peu au jeudi matin.
Ensuite, l'après-midi, il faut checker tous les casques des pilotes. Ils amènent leurs casques au fur et à mesure. S'il y a eu des tests, il faut nettoyer les casques, les sécher et les mettre dans la configuration du moment. De toute manière, tous les casques sont contrôlés, même ceux que j'ai fait le dimanche après la course. Je les récupère tous et par habitude, je les contrôle.
Quand on tombe sur une météo idéale dès le vendredi jusqu'au dimanche, le travail est "simple" : il s'agit de nettoyer et sécher le casque et placer les nouveaux tear-off. Par contre, quand on tombe sur un temps comme on a pu avoir depuis vendredi (NDLR : Lors du GP de France, temps très variable mêlant éclaircies à de la pluie le vendredi, puis soleil le samedi et le dimanche). Il faut alors préparer des casques en configuration pluie avec des joints. On bouche les ventilations pour être sûr qu'il n'y ait pas la moindre goutte d'eau qui rentre. C'est aussi plus de travail, parce que quand le casque revient entre deux sessions, il est trempé. Avec le compresseur d'air que l'on a, on évacue correctement toute l'eau dans les sous-plaques en plus de le sécher. Et comme tu as pu le voir, une éclaircie arrive, il faut alors changer les écrans.
Pour les pilotes, ayant plusieurs casques comme Scott (Redding) et Sam (Lowes), avec 4 casques, la préparation est facile. Par contre, Johan (Zarco) lui a commencé le week-end avec un seul casque, pour des raisons de sponsors, la peinture n'avait pas été faite encore à ce moment-là. Du coup, dans la nuit de jeudi à vendredi, j'ai travaillé jusqu'à 4h du matin, pour faire deux casques à Johan, avec des joints à faire ainsi que deux aussi à préparer pour Scott... Autre détail, à propos de Sam, cette année avec la bulle de l'Aprilia, il donne des coups de tête dans la bulle et raye tous les écrans. Je monte donc un très grand nombre d'écrans rien que pour le casque de Sam.
SB : Par rapport à ce problème d'écran, est-ce que toi tu peux faire remonter l'information auprès des constructeurs et des teams ?
JJL : Oui je peux, mais avec certains ça passe et d'autres, l'oreille n'est pas très attentive. Il y a un tel travail effectué sur l'aérodynamique que la seule chose qu'ils voient c'est que le pilote est vraiment près de la bulle. Donc, entre le bas du carénage, la bulle, le wings (spoiler que l'on voit sur tous les casques des pilotes MotoGP Shark) et le pilote, le profil est au millimètre. Si je passe dix écrans dans le week-end pour un seul pilote, ils n'en ont que faire. Ensuite, comme tu as pu le voir aussi j'ai un casque de plus à préparer avec le remplacement de Rins par Sylvain Guintoli, ce qui fait cinq pilotes Shark en MotoGP.
SB : Je remarque que le casque de Sylvain (Guintoli) ne possède pas le fameux "wings" que l'on peut voir sur les quatre autres casques. Est-ce dû à la soudaineté de l'annonce du remplacement de Rins par Sylvain?
JJL : La mise en place de l'élément demande du temps dans la fabrication et en plus de cela, la catégorie dans laquelle il court habituellement (British SuperBike), le wings n'est pas nécessairement utile. Pour nous c'est compliqué, parce que Florian, doit commander la pièce qui sera imprimée en 3D, pour qu'elle soit collée et mastiquée. Les peintres perdent aussi beaucoup plus de temps. Le délai de fabrication s'allonge alors. Par exemple, Lorenzo qui avait quatre casques, a voulu garder celui avec lequel il avait fait son premier podium à Jerez, il en a plus que trois. Seulement, aujourd'hui il est tombé lors des essais, il en a cassé un. Donc, à l'heure actuelle (NDLR : samedi 20/05 en fin d'après-midi) Lorenzo a deux casques. Et pour quelqu'un qui change d'écrans assez souvent, qui est très pointu dessus c'est toute une organisation. J'ai donc une série d'écrans prêts au cas où.
Les conditions météo de cette semaine pour nous équipementiers sont les conditions les plus difficiles que l'on puisse avoir. On a eu du soleil, de la grêle et de la pluie.
SB : Là on a pu voir tout le travail que tu fais lors d'un week-end de grand prix mais il y a aussi tout le travail en amont, notamment avec un des derniers entrés au sein de votre marque en la personne de Lorenzo. Comment s'est passé la confection de son casque ? On peut imaginer que c'est du sur-mesure.
JJL : L'avantage, c'est que l'on a 5 épaisseurs de joues différentes dans nos casques, et pareil pour les coiffes. On peut donc tout moduler. En plus, on a les coiffes standards et les coiffes racing. Les coiffes racing ont 2 tops, un double top dessus de façon à soulever le casque pour relever le champ de vision lorsque le pilote est dans sa bulle. En jouant avec toutes ses configurations, le travail est simplifié. Par exemple, Lorenzo fonctionne avec des joues en 40 pour l'épaisseur mais ne veut pas la présence aux oreilles. Sur la route, les joues standards sont découpées pour les oreilles pour le confort. Un casque qui va rouler 45 mn n'est pas monté comme un casque qui doit faire 300 km. Le maintien c'est une chose, le confort une autre. En GP, c'est le maintien qui prime. Les joues racing sont pleines pour 2 raisons : pour le maintien et aussi à cause des bouchons antibruits que les pilotes peuvent avoir, pour ne pas les perdre. Donc Lorenzo, veut bien avoir la mousse hard mais ne veut pas un appui sur les oreilles, juste une présence (le tissu).
Notre avantage aussi à nous, Shark, c'est d'avoir 2 personnes faisant les prototypes des intérieurs et donc l'atelier couture. C'est-à-dire que, ce casque (celui de Redding) qui a des joues de 50, ça n'existe pas, on a dû rajouter 5 mm. Pour Lorenzo, on a enlevé la mousse pour les oreilles, et on a coupé une partie de la joue aussi pour le champ de vision.
SB : Y a-t-il des demandes extravagantes de la part des pilotes ?
JJL : Non, les demandes sont légitimes. Par exemple, cela nous a pris quand même 2 - 3 sizing avec Jorge Lorenzo pour arriver à trouver la bonne configuration. En plus de cela, il se méfiait par rapport à la configuration des joues, suite aux mésaventures connues avec son précédent équipementier (problème de casque mouillé, la coiffe qui s'était détachée...). Notre avantage, pour le rassurer, c'est que nous n'avons pas de délai de réaction, grâce à la présence de l'atelier couture. La première fois où l'on est allé faire rouler Lorenzo, nous avions déjà apporté un grand panel. On lui a apporté plusieurs choix, même pour la configuration au niveau des oreilles. Et comme Jorge est quelqu'un de très professionnel, il a fait plusieurs tests, on lui a apporté ce qu'il voulait. Dans nos standards, on a du 35mm et du 40mm, on lui a confectionné du 37 et du 38 pour qu'il puisse essayer. Pour finalement rester sur le 40. Et avant les premiers tests, la configuration était quasiment trouvée. Depuis, malgré une réputation de Lorenzo pointilleux, on n'a rien touché au casque.
Pour Johan, il fonctionne avec des joues de 40 et quand il est passé de Moto2 à MotoGP, il a voulu essayer des joues de 45 car il craignait qu'avec la vitesse, le maintien ne soit pas suffisant avec les joues en 40. Mais, après une séance d'essais avec des joues en 45, il est revenu à sa configuration initiale.
JJL : Là tu vois toute une partie du travail, mais il y en a aussi une autre. Il s'agit de la commande et la gestion des écrans, qui seront dispatchés sur toute l'année. Les écrans sont confectionnés en France, mais les traitements antibuée et autres se font dans notre usine au Portugal. Il y a aussi la commande des calottes et la relation avec les peintres qui n'est pas simple. Parce que les commander c'est une chose, mais les recevoir en temps et en heure, c'est un autre débat ! Ce travail est essentiellement le travail de Florian.
Autre partie que les gens ne voient pas c'est l'entretien du camion. Et notre travail peut aussi être tributaire des aléas du camion. Sur ce Grand Prix, je suis arrivé une demi-journée après à cause d'une panne en venant. Donc, en amont du travail effectué lors des grands prix, le boulot est énorme mais personne ne le voit.
On a aussi une autre tâche qui est la recherche de pilotes. On a, aussi, ceux déjà présent dans notre structure que l'on cherche à fidéliser.
SB : Est-ce que tu te déplaces sur tous les GP de la saison ?
JJL : Pour les GP en Europe, je me déplace avec la semi et hors Europe nous fonctionnons avec des flycases pour tout notre matériel, nous n'emportons aucun casque. Tous les pilotes emportent leurs casques. A l'arrivée, nous avons une société qui s'occupe de l'acheminement des caisses devant le box ou l'Algéco alloué à Shark. Nous louons du matériel en plus, comme des tables, des chaises et des TV pour suivre les infos et courses durant tout le week-end. Le dimanche soir, la même société récupère nos caisses devant notre porte, et les amène au prochain grand prix. Nous ne sommes que deux, et je ne gère que le GP. Florian gère tous les contrats pilotes, supervise le SBK et tous les autres championnats (dont le CEV présent vendredi et samedi).
Au terme de ces 3 jours de GP, j'ai pu me rendre compte du travail à accomplir par un équipementier lors d'un Grand Prix. Jusqu'au départ de la course le dimanche 21 mai et avec une météo changeante tout au long du week-end, le travail de Jean-Jacques et Florian n'aura pas été de tout repos. Ce fut pour moi, une rencontre enrichissante et instructive qui m'a permis d'aborder le MotoGP avec un autre regard.
Dans le prochain épisode, retrouvez-moi dans les paddocks du Grand Prix de France !
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